8 mesures potentielles pour réduire le cash en circulation au Maroc
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Le niveau de cash en circulation dans l’économie marocaine a dépassé la barre de 400 Milliards de Dhs en fin 2023, soit plus de 30% du PIB, et une augmentation de plus de 50% en moins de 4 ans. L'utilisation massive du cash a plusieurs impacts significatifs sur l’économie nationale. Elle ralentit les circuits de réinvestissement et de création de valeur, exerce une pression sur le taux d'intérêt, et réduit la vélocité des transactions dans l'économie, ce qui freine la croissance. De plus, elle constitue un obstacle à la transparence économique et complique la lutte contre la fraude fiscale.
Selon Bank Al Maghrib (BAM), en 2022, le nombre global de moyens de paiement scripturaux échangés a connu une hausse de 21%, avec 418 millions d’opérations et une valeur de 4 516 milliards de dirhams. Les moyens de paiement sont répartis en nombre de transactions comme suit : le virement arrive en tête avec 44,8 % des échanges, suivi par la carte bancaire (32,1 %), les prélèvements (12,5 %), les chèques (7,5 %), et enfin le paiement mobile et les LCN, avec des parts respectives de 1,9 % et 1,2 %.
Lorsqu'on compare le Maroc à d'autres pays en termes de nombre de transactions scripturales, on enregistre une moyenne de 11,2 transactions par an et par habitant, tandis que la Turquie en compte plus de 500 et les États-Unis plus de 1 000 transactions par an et par habitant.
Alors que d'autres pays ont réussi à faire la transition vers une économie plus formelle grâce à la numérisation des paiements, le Maroc reste encore fortement dépendant du cash.
L’exception marocaine n’est pas une fatalité, voici quelques suggestions de mesures et principes essentiels pour stopper l'hémorragie du cash.
6 principes clés pour réduire l’usage du Cash au Maroc
Simple et pratique - L’expérience du citoyen et du commerçant doit être aussi facile que d’envoyer un message sur Whatsapp. Il suffit d’installer les applications de paiement mobile au Maroc et essayer de s’inscrire ou d’effectuer une transaction pour comprendre l’une des raisons pour lesquelles ces moyen de paiement ne décollent pas. C’est un véritable parcours du combattant avec de nombreux clics, alors que nos concitoyens sont habitués à des applications comme Whatsapp, qui sont ultra-simples.
Incitatif - Les commerçants, en tant qu'acteurs économiques, réagissent aux incitations pour maximiser leur profit. L’adoption des moyens de paiement électronique (carte, paiement mobile, etc.) doit devenir plus rentable et pratique que les avantages liés au contournement de l'impôt. Si, demain, un commerçant constate que 20% de ses clients quittent son magasin parce qu'il ne propose pas de paiement électronique, il sera naturellement poussé à accepter le paiement électronique.
Équitable et transparent - Encourager l’adoption des paiements électroniques sous prétexte d’exonérations fiscales est une solution trompeuse qui peut s’avérer contre-productive. Ces mesures ne peuvent durer indéfiniment, surtout lorsque les exonérations ne sont pas justifiées. L'État doit redoubler d'efforts en matière d'éducation financière et communiquer de manière transparente les objectifs, les responsabilités et les impacts à long terme de la continuité de l'utilisation du cash sur l'économie nationale. Plusieurs citoyens sur-estissement l’impact de payer les impôts sur leur business
Paix sociale - Le Maroc n’est pas prêt socialement et politiquement à mettre en place des mesures radicales pour mettre fin au cash. Les solutions doivent s’adapter à la réalité marocaine dans un contexte où l’État cherche à maximiser ces recettes sans impacter la paix sociale. Des mesures comme imposer le paiement électronique du jour au lendemain pour l’ensemble des commerçants comme aux Emirats ou en Arabie saoudite sont loin d’être réalistes dans notre contexte marocain.
Se concentrer sur le haut de la pyramide - Nous avons cherché à réduire l'utilisation du cash en passant par les établissements de paiement, en nous concentrant initialement sur des comptes de paiement plafonnés à 20 000 Dhs, destinés à une classe sociale plus à l'aise dans l'informel. Il est plus opportun de concentrer les efforts pour réduire l'utilisation de l'argent liquide en commençant par les citoyens et les entreprises qui respectent déjà leurs obligations fiscales.
Empirique - Il est essentiel de se concentrer sur des mesures ayant déjà fait leurs preuves dans d'autres contextes similaires plutôt que de s'aventurer dans des innovations encore en phase de test, comme le e-dirham. Les monnaies numériques des banques centrales (CBDC) sont encore dans une phase d'expérimentation dans la plupart des pays, avec des résultats mitigés.
8 mesures pour réduire le cash en circulation au Maroc
1. Créer une plateforme de paiement instantané interopérable entre l’ensemble des comptes bancaires et de paiement
Imaginez recevoir une facture par e-mail et pouvoir la payer instantanément en scannant un QR code, ou bien recevoir 100 Dhs de façon instantanée de la part d'un ami sur votre compte bancaire juste en lui donnant votre numéro de téléphone ou votre email (pas votre RIB). Les Brésiliens vivent cette réalité depuis quatre ans grâce à PiX.
PiX est un système de paiement instantané développé et géré par la Banque Centrale du Brésil. Lancé en novembre 2020, il a modernisé l'économie brésilienne, où 77 % des transactions de détail se faisaient encore en espèces en 2019. PiX a rapidement gagné en popularité, avec plus de 130 millions de consommateurs, soit 70 % de la population adulte brésilienne, ayant effectué ou reçu une transaction via PiX 25 mois après son lancement, et plus de 12 millions d'entreprises utilisant PiX. Source
Les transactions par carte ont continué d’augmenter mais PiX a pu débloquer des nouveaux use cases et de remplacer surtout le cash avec plus de 13.1 Milliards de transactions durant Q4 2023.
Comment fonctionne PiX?
Enregistrement : Les utilisateurs enregistrent des "clés" (téléphone, e-mail, identifiant aléatoire, etc.) associées à leur compte bancaire ou de paiement, et partagées avec la Banque Centrale.
Paiement : Le payeur utilise la clé du destinataire pour initier un transfert.
Transfert : Les fonds sont transférés en temps réel et de manière irréversible entre comptes via la Banque Centrale.
Une plateforme similaire à PiX existe déjà dans plusieurs pays comme l’Inde, la Suisse, l’Egypte, parmi d’autres pays... et loin d’être une innovation se limitant uniquement au marché brésilien. Néanmoins, les chiffres d’adoption de PiX par la société brésilienne sont uniques et dépassent largement les autres expériences internationales.
Bank Al Maghrib pourrait créer et opérer un système similaire afin de favoriser l’ interopérabilité entre l’ensemble des comptes bancaires et comptes de paiement au Maroc. PiX a été réalisé entièrement en interne et a coûté moins de 3 millions de dollars à La Banque Centrale Brésilienne pour le développer. Ce service est entièrement gratuit pour les citoyens. Pour les paiements commerçants, le taux est plafonné à 0.25%, avec une disponibilité immédiate des fonds.
2. Moderniser les comptes de paiement
Les établissements de paiement, initialement perçus comme un moyen d’inclusion financière pour les populations non bancarisées, n’ont pas réussi à remplir cette mission. Le système actuel repose sur des comptes de paiement plafonnés à 20 000 Dhs et exige une procédure de KYC aussi complexe que celle d’un compte bancaire. En revanche, une banque comme CIH a fait un effort admirable dans l’inclusion financière des marocains, notamment les jeunes, en offrant une proposition de valeur beaucoup plus forte: Code 30, un compte bancaire gratuit, des paiements internationaux, des fonctionnalités avancées dans l’application et aucun plafond de montant, contrairement à un compte de paiement.